jeudi 7 août 2008

JE NE SAIS RIEN

"Il faut admettre qu'on ne sait rien, cot, cot, cot, comme disent les poules." Witold Gombrowicz

Il y a quelques temps, un spectateur strasbourgeois me demandait après une lecture, si je venais d'un endroit de Belgique où l'on parlait une langue singulière pour que la mienne - de théâtre - soit ainsi teintée de métaphores, de sonorités étranges et de mariages improbables entre les mots. je répondis sans hésiter que je venais tout droit d'un territoire appelé poésie, de ses contrées infinies qui ignorent les frontières et qui conjuguent à tous les temps de l'imaginaire les questions éternelles qui habitent nos coeurs et nos âmes d'êtres humains, que j'y étais né quarante-cinq ans plus tôt comme pouvait le lui certifier mon acte de naissance.
Le spectateur a souri et s'est déclaré satisfait de ma réponse.

Je suis un poète, je le revendique, c'est sans doute-là, ma seule certitude car le doute demeure ma nourriture essentielle.

Je regarde la course du monde, avide de profits, course qui ressemble plus à une fuite en avant qu'à une progression raisonnée, et je m'effraie : nous sommes en piteux état, multitude de "moi je " dans une société morcelée, où les individus, orphelins du "nous", s'affrontent sans pitié. Les seules réponses qui comptent aujourd'hui sont : oui ou non; étrange mode binaire dans lequel nous vivons, partagés entre ce oui et ce non, entre ce noir et ce blanc, ce bien et ce mal, toutes choses simplifiées, car entre ce oui et ce non, s'étend l'immense territoire de la pensée, l'espace du doute et de la remise en question. 

Notre société a plus que jamais besoin d'artistes qui interrogent le sens de la vie que nous menons, elle a besoin d'être prise à partie, d'être secouée, de nouvelles questions doivent être posées pour ébranler le refuge confortable des certitudes.

Je suis un rêveur, d'accord, un trousseur, un détrousseur, un retrousseur de mots, un tailleur de phrases, je l'entends bien; je sculpte, bien sûr, je peins, je compose... J'écris en fait et je demeure un rebelle qui donnera des coups de poing tant qu'il y aura des tables, qui partira toujours en guerre, menaçant à coups de poésie les injustices de notre temps. Ecrire du théâtre, c'est, pour moi, combattre l'injurieux, l'inéquitable pour l'être humain, c'est refuser l'arbitraire et garder à l'esprit les notions lumineuses que sont la liberté, l'égalité et la fraternité.

Avec pour arme, la poésie, sans répit, sans retrait ; et le rire, parce qu'il désarme, parce qu'il dénoue, parce qu'il parle si juste, dire les infortunes, ces ornières dans le cours des chemins, contre lesquelles nous butons tout au long de nos vies.

Je crée des personnages auxquels je donne des noms improbables, ainsi, Apolline Lonlère, Rigobert Rigodon, Lara O'Lala, Angelin Diguedon, Bégonia Tchoum, Alcidias Patapon, Saturnin Ribouldingue ou Cléodor Boumlalère... surgissent et emportent, bonhommes, les spectateurs par la main dans leurs mondes étranges et peu communs. Devant tant de fantaisie, le spectateur rassuré, sourit : voilà donc de bien singulières personnes dans leurs mondes particuliers. Mais petit à petit ces personnages se dépouillent de leur singularité et leur véritable visage apparaît, humain, reflet de nous-mêmes, et les contours de leurs mondes ressemblent tout-à-coup très fort au nôtre. C'est là que je suis au coeur du théâtre que je veux faire, à cet endroit du trouble où les couleurs de la fable prennent celle de notre réalité, c'est là que grandit l'émotion. je me suis toujours demandé à quoi servait le théâtre s'il ne bouleversait pas ses spectateurs.

Je considère que l'écriture dramatique est d'utilité publique, car elle sonde, elle questionne, elle explore les heurs et les malheurs de nos sociétés. Elle est le lieu du débat, de la confrontation, la scène où s'expose les enjeux qui gouvernent nos vies, où se révèle la complexité de nos natures d'êtres humains. Ce regard des hommes sur les hommes nous éclaire, il nous aide à penser et à grandir, il doit être, par la poésie, le privilège du plus grand nombre, car la poésie laisse à chacun de nous, la liberté de la comprendre et de l'interpréter, quelle que soit l'étendue de nos connaissances. Voilà certainement pourquoi depuis son invention, cet art - le théâtre - inquiète ceux qui détiennent le pouvoir.

L'écriture est pour moi un acte de jouïsive indiscipline. A quoi bon l'ordre si l'on ne peut lui faire goûter un peu d'anarchie, pourquoi édicter des règles si l'on ne peut leur botter les fesses, à quoi bon nous choisir des chefs si l'on ne peut les faire vaciller, au moins virtuellement, sur leur piédestal.

L'écriture est aussi pour moi une quête, perpétuelle et insatisfaite, de la beauté, je suis à sa recherche, je suis dans les pas du compositeur, dans ceux du peintre, ceux du sculpteur, ceux de tout ceux-là qui tâtonnent dans l'ombre en cherchant la lumière.

L'auteur dramatique est un scaphandrier qui s'immerge dans la société contemporaine, il s'enfonce dans des puits limpides, il examine les zones d'ombres, il prospecte, il doute parfois dans les ténèbres, il remue des fonds avec le soc de sa plume, et remonte plus souvent à la surface, la lie que le nectar de nos vies, c'est vrai, mais la quête de la joie, ne passe-t-elle pas par la révélation des maux qui nous rongent.

Je ne sais rien, je ne sais rien du tout, mais la joie, la joie je la cherche, elle est là, tout près, et nous le savons si peu.

Stanislas Cotton, mai 2008